Par Louis Marie Kakdeu
Le projet de loi des finances 2025 a été finalement déposé à l’Assemblée nationale avec près de 40 jours de retard. Une exception camerounaise. Les députés sont réquisitionnés pour travailler nuits et jours afin de se prononcer sur le contenu. Ils ne feront pas de magie. Pourtant, ce projet de loi consacre le budget de la République du Cameroun pour l’année 2025. En réalité , l’un des documents les plus importants de la République. À l’analyse, il n’y a rien à se mettre sous la dent. Au contraire, de nouvelles dispositions laissent entrevoir des lendemains difficiles pour les citoyens. Une telle loi, si inclusive, devait passer par le filtre des partenaires sociaux supposés être regroupés au sein du Conseil économique et social. Que voulez-vous ? Nous sommes au Cameroun et rien ne marche! Voici une vue analytique de ce projet de loi des finances 2025 :
Absence de cohérence budgétaire et fiscale
A la question de savoir quelle est la vision économique de l’État du Cameroun, la loi des finances 2025 ne permet pas de dire clairement si l’on s’inscrit toujours dans le cadre de la SND30 ou non. En effet, l’enjeu économique porté par la SND30 était la lutte contre l’extraversion de l’économie nationale. C’est-à-dire que l’on cesse de dépendre entièrement de l’étranger. En 2025, la loi des finances consacre toujours la dépendance de l’extérieur. La seule disposition susceptible d’entrer dans la politique d’import-substitution qui est supposée être la politique d’industrialisation du pays par substitution des produits importés, est l’article huitième. Mais, cette disposition a été formulée de manière pernicieuse dans la mesure où elle exclut la substitution, même par application du principe de réciprocité, des produits contenus dans des accords commerciaux. Par conséquent, elle consacre le statut quo. Rien ne changera. La logique défendue est pourtant que l’on ne favorise pas l’importation de ce qui peut se produire localement. Pourquoi ? Parce que les accords économiques signés par le gouvernement camerounais ont engendré la destruction du tissu économique local. Le gouvernement a toujours fait la faute de mettre en concurrence déloyale les produits locaux non subventionnés avec les produits étrangers subventionnés à la production, au transport jusqu’au Cameroun et à la douane camerounaise. C’est simplement un des multiples crimes d’État ! Entre 1995 (date de la signature des accords de l’OMC par le Cameroun) et 2005, l’on avait enregistré 92% d’entreprises locales fermées dans le secteur agricole par exemple. Allez-y savoir pourquoi l’on importe 97% de riz consommé au pays, 89% de lait, 100% de blé, etc., alors que des potentialités locales existent. On importe déjà le manioc, le maïs, les agrumes comme les oranges, la mandarine, etc. L’économie camerounaise est entièrement extravertie. En 2024, il était difficile de trouver un seul secteur excédentaire. Selon un mouvement patronal comme ECAM, 80% des entreprises mouraient avant 2 ans d’existence.
L’État surtaxe le chiffre d’affaires (57%) au lieu de taxer le bénéfice comme le recommande le principe de proportionnalité. La charge fiscale est étouffante, et même en 2025, l’État continuera à asphyxier le peu de contribuables qui restent dans le formel (autour de 30000 depuis des décennies). Or, l’élargissement de l’assiette fiscale peut se faire à l’horizontale. Selon l’INS, l’on note au Cameroun 3,5 millions d’Unités de Production Informelles (UPI) c’est-à-dire de potentiels contribuables qu’un gouvernement sérieux pouvait capter en baissant plutôt les impôts. En effet, l’informel est devenu le secteur refuge au Cameroun. Les gens maintiennent une vitrine au marché et installent leurs magasins chez eux dans les quartiers. L’économie fonctionne au noir. Les citoyens fuient les impôts. Il était temps de changer de perspective et le gouvernement a raté l’occasion de le faire.
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Une politique économique met en cohérence la monnaie, le budget et les impôts dans le but d’atteindre la croissance, l’emploi, la stabilité des prix et l’équilibre externe. En 2025, il est légitime de se demander où est-ce que le gouvernement nous conduit avec la reconduction quasi-totale du budget 2024. Une politique budgétaire consiste à utiliser le budget de l’État pour agir sur la conjoncture. Quel est le problème que résout le budget 2025? La croissance ? Comment peut-on avoir la croissance sans produire localement et sans investir ? L’emploi et la lutte contre le chômage ? Comment peut-on créer des emplois sans améliorer le climat des affaires ? La politique budgétaire du Cameroun favorise le bayam selam et le transport clandestin (mototaxis): Est-ce la sécurité de l’emploi demandé par les jeunes? Comment arrive-t-on à lutter contre l’exode rural avec une telle politique économique ? Environ 200000 nouvelles personnes arrivent à Douala et Yaoundé chaque année. Est-ce tenable en termes d’infrastructures, d’emploi, de santé, d’éducation, de logement, d’alimentation, etc. ? Ne faut-il pas trouver des solutions endogènes ? Une politique budgétaire englobe l’ensemble des mesures prises par l’État pour atteindre ces objectifs: le pouvoir d’achat, le panier de la ménagère, le travail décent, la sécurité sociale, la santé publique, etc. Bref, le bien-être. Au Cameroun, où va-t-on ? Nulle part puisque tous les citoyens veulent partir. Le Cameroun est devenu champion d’Afrique en matière d’émigration clandestine. Bravo au gouvernement du Renouveau qui avait pourtant vendu l’illusion de la prospérité.
Forte augmentation de la vie chère
L’inflation a augmenté en 2024 jusqu’à 14% pour les denrées alimentaires qui concernent directement le grand nombre de citoyens. Cela veut dire quoi? Cela veut dire que pour pouvoir acheter les mêmes biens et services qu’en 2024, il aurait fallu que le budget augmente proportionnellement à l’inflation soit de près de FCFA 1000 milliards. Je dis bien pour maintenir le même niveau de vie qu’en 2024. Je ne parle même pas encore de vivre mieux qu’en 2024. Ce qu’il faut comprendre c’est que les revenus ont baissé de 14% en 2024 et qu’il faudra dépenser environ FCFA 1400 pour acheter le bien ou le service qui coûtait FCFA 1000 en 2024. Il faudra noter qu’il n’existe aucun plan d’augmentation des salaires à l’horizon et les gens devront redoubler d’efforts pour joindre les deux bouts. Le budget de la République du Cameroun devait franchir la barre des FCFA 8000 milliards pour atteindre cet objectif. Une augmentation de FCFA 39 milliards par rapport à 2024 est donc ridicule et insignifiante pour le Cameroun.
Une forte augmentation des coûts de production
Le gouvernement camerounais prévoit d’augmenter le prix du carburant à la pompe. C’est un suicide économique dans un contexte où l’on a largement le choix. Calculons ensemble! En ce mois de décembre 2024, le prix de revient d’un litre de super au port de Douala est de FCFA 369. Le prix à la pompe est de FCFA 840 par l’unique choix controversé du gouvernement. Si le gouvernement était social-démocrate comme nous-autres, alors l’on pouvait vendre le litre du super à FCFA 400. Mais, ils sont mafieux et capitalistes. Ils ont mis une chaîne de 9 intervenants dans le processus d’importation du carburant et chaque acteur s’en tire avec sa part du gâteau. C’est déjà le choix de passer par un importateur pour acheter le carburant et d’expliquer que le gouvernement subventionne le carburant dans la mesure où il paie CASH l’importation. Quelle folie! Pourquoi passer par un intermédiaire à qui l’on paie CASH alors que l’on pouvait aussi directement acheter avec ce CASH aux traders? Pourquoi même acheter aux traders qui font la spéculation alors que l’on pouvait directement commander à Dangote par exemple ? Le citoyen camerounais paie le choix du gouvernement camerounais pour la mafia et le capitalisme. Il consacre le monopole à quelques individus et ne favorise pas la libre compétition. Pourquoi y a-t-il un seul fournisseur de super au Cameroun ? C’est la maison de son père ? Il faut comprendre que sur chaque litre en ce mois de décembre 2024, le consommateur paie 41 FCFA de prime et 16 FCFA de marge à l’importateur mafieux et gros bébé que l’on nourrit et qui n’a aucune surface financière pour travailler. Avançons ! Pourquoi choisit-on d’avoir à la fois des marketeurs et des sous-distributeurs dans les stations essence ? Pourquoi est-ce que le consommateur doit payer une marge de FCFA 16 au sous-distributeur que l’on peut supprimer ? Aussi, où passe le bénéfice que2025 réalise la CSPH? A quoi sert cette structure puisque le citoyen-consommateur ne profite jamais de la baisse des prix du baril du pétrole sur le marché international ? Le gouvernement camerounais nous informe que les recettes pétrolières du pays, producteur de pétrole, ont baissé du fait de cette baisse du prix du baril mais, il explique paradoxalement que les prix doivent augmenter à la pompe du fait de la conjoncture internationale. Yaaaaa! Quelle mafia? La Côte d’Ivoire n’a pas de CSPH et les choses se passent très bien. On nous explique que la CSPH s’occupe du transport et la SCDP alors? Il faut supprimer les doublons !
Ensuite, en plus de la lourde taxe spéciale de 110 FCFA, ils ajoutent 4 taxes pour la Sonara (infrastructures, modernisation, soutien, etc.) soit environ FCFA 75. Cela donne plusieurs centaines de milliards qui auraient permis depuis des années de construire plusieurs raffineries flambant neuves. Mais, où va l’argent que l’on fait payer aux consommateurs pour la Sonara ? Pire, l’État prélève 8 fois la TVA sur le litre de carburant sans compter les frais de douane (2 fois). Soyons sérieux ! En décembre 2024, ce que le gouvernement appelle subvention s’intitule « soutien/remboursement de l’État » qui ne représentait plus que 48 FCFA. C’est-à-dire que l’État surtaxe à près de 60% le litre du carburant (près de 500 FCFA) et rembourse FCFA 48. On se moque de qui? Il est venu le temps d’être sérieux dans ce pays et de savoir ce que l’on veut. Sous le regard passif du citoyen, on ne va pas passer le temps à vouloir justifier les Gencoregates, cangates et autres alors que le pays dispose de l’expertise nécessaire pour se développer. Une politique fiscale détermine les incitations au travail, à l’investissement et à l’innovation, qui influe sur le potentiel de croissance et de développement d’un pays. Dans des pays normaux, elle cherche à trouver un équilibre entre la garantie des recettes dont les gouvernements ont besoin pour financer leurs programmes sociaux et économiques et le renforcement des contributions du système fiscal à une croissance économique inclusive et durable. Durable parce que l’on ne doit pas continuer à endetter les générations futures pour rien et à détruire l’environnement. L’on est fondé de se demander quelle est la politique fiscale du gouvernement camerounais ? Où va-t-on ? Peut-on voter nos pauvres FCFA 1800 milliards de budget d’investissement et se permettre de favoriser l’augmentation des coûts de production ? Si l’on produit plus cher au Cameroun, l’on vendra aussi plus cher. Le transport sera aussi plus cher avec l’augmentation annoncée du prix du carburant. Où va-t-on ?
Je m’interroge vraiment et je m’arrête là. On peut écrire une thèse sur l’égarement du régime camerounais. Mais, c’est notre égarement à nous Tous dans la mesure où nous avons laissé faire et nous sommes en passe de laisser faire en 2025.
La solution au marasme politique et économique camerounais s’appelle « engagement citoyen ». Si vous continuez de penser que les KAKDEU sont bêtes parce qu’ils ont migré de la société civile à la politique, alors vous aurez fait le choix de continuer d’aboyer pour que la caravane dévastatrice continue de passer comme toujours et sans scrupule.
A nous de voir !
#NousVivonsEnsembleEtNousAllonsMourirEnsemble
Louis Marie Kakdeu , MPA, PhD & HDR
Deuxième Vice-Président National SDF