Depuis la loi des finances 2021, le gouvernement camerounais répète sans cesse que la politique de l’import-substitution est au cœur de l’orientation budgétaire. A chaque fois, il se trompe. Même dans le projet de loi des finances 2026 qui vient d’être adopté à l’Assemblée nationale, ils se sont trompés de politique et de pratiques qui pouvaient être pourtant salutaires pour le pays. Dans le cadre de cette réflexion, je me propose d’indiquer brièvement ce que l’on entend par politique de l’import-substitution et les erreurs que le gouvernement commet de façon répétitive.
L’on parle de l’import-substitution en référence à une politique d’INDUSTRIALISATION par substitution des produits importés. En gros, l’on décourage l’importation massive de tout ce que l’on peut produire localement. Pourquoi ? Parce qu’il faut créer localement les richesses et parce qu’il faut atteindre la croissance. Pourquoi est-ce que la politique de l’import-substitution est salutaire pour le pays ? Parce que les importations massives ont contribué à tuer le tissu économique local. Le seul exemple réussi de mémoire a été appliqué entre 2006 et 2016 à la filière avicole suite à la dénonciation de l’ACDIC.
Mal appliqué, l’on crée plutôt la famine et la vie chère. Il n’est pas question de bloquer les importations sans encourager la production locale. Cela engendrerait à la vie chère. Il n’est non plus pas question de faciliter les exportations massives sans couvrir le déficit local ou national ; cela compromettrait la sécurité alimentaire ou l’autosatisfaction locale. Par exemple, le mil/sorgho est l’aliment de base des populations dans la région de l’Extrême-Nord. Alors que la totalité de la production locale était d’environ 4000 tonnes (y-compris ce que consommaient les populations locales), le gouvernement avait favorisé à travers des incitations fiscales la signature d’un contrat entre une organisation paysanne et une société brassicole pour livrer 17000 tonnes de sorgho par an. C’était une catastrophe pour la sécurité alimentaire dans cette région déjà frappée par la sous-alimentation chronique. La prévalence de malnutrition aiguë globale (MAG) est d’environ 14% pour l’Extrême Nord et l’on ne peut pas se permettre d’appliquer ce genre de politique néo-capitaliste.
L’import-substitution permet de protéger le tissu économique local. L’on commence par protéger ce qui se produit déjà sur place avec succès et des secteurs à forts potentiels de croissance. La logique est simple : pendant la phase de la germination dans nos champs, l’on débarrasse la plantation des mauvaises herbes. Mieux, l’on ne surcharge pas un jeune plant qui a besoin de croissance. La pression fiscale est tellement forte au Cameroun que 80% des jeunes entreprises meurent avant l’âge de deux ans selon le patronat. Seuls 1,5% des entreprises camerounaises ont plus de 25 ans d’âge, ce qui est une catastrophe pour la croissance du pays. Pourquoi ? Parce que l’activité économique est soumise aux fluctuations sur le marché (dépendance à l’étranger). Voici quelques exemples : les secteurs du textile (CICAM est en faillite), du riz (SEMRY, dernière entreprise qui reste, est en faillite depuis 2014 et vit de la perfusion de l’Etat), etc. Lorsque l’on regarde le budget de la République du Cameroun, on se rend compte que l’Etat s’endette pour faire fonctionner l’essentiel des entreprises publiques. Or, ce sont ces entreprises qui devaient enrichir l’Etat. Il faut rétablir la bonne politique d’import-substitution. Allons à présent dans la loi des finances 2026 voir comment l’Etat risque d’aggraver la situation.
L’on observe que ce qui s’apparente être l’application de la politique de l’import-substitution est principalement l’action annoncée sur la législation douanière et l’institution de certains droits d’accises à l’importation sur certains biens marginaux pour l’économie nationale (véhicules, gaz domestiques). Pour lutter contre l’informel, le gouvernement prévoit de lutter contre « hawala », se dit des transferts au marché noir. L’informel représente près de 90% de l’économie nationale et le fait de s’y attaquer sans mesures compensatoires pourrait plutôt créer la vie chère et la déstabilisation du pays.
Plus concrètement, l’on observe que l’objectif des mesures douanières annoncées est plus social qu’économique. Le gouvernement veut soutenir la santé publique, la promotion des énergies renouvelables, le développement des centres d’apprentissages, la promotion du numérique, les personnes handicapées, le développement des infrastructures routières, etc. En clair, l’Etat favorise l’importation massive des besoins élémentaires au Cameroun sans se soucier de la protection de ce que l’on produit déjà ou doit produire localement. Par conséquent, l’industrie locale n’émergera jamais dans ces secteurs dits « prioritaires ». La politique de l’import-substitution suppose exactement le contraire : L’on favoriserait plutôt la production locale des produits couvrant les besoins élémentaires des populations afin de ne pas dépendre de l’étranger pour la survie. C’est une erreur stratégique susceptible d’être fatale pour un pays. Pire, le Cameroun se met hors-jeu de la compétition mondiale dans des secteurs d’avenir comme les énergies renouvelables, le numérique, etc. Pourquoi ? Parce que le pays procède depuis 2025 à la surtaxation de la création du contenu. En d’autres termes, pendant que le pays taxe l’innovation locale, il favorise l’entrée gratuite de l’innovation étrangère. C’est fatal ! Par exemple, la ville de Buéa était considérée au Cameroun comme étant une Silicon Mountain en matière de numérique et le Hollywood local en matière de cinéma : de nos jours, tout est mort ! Et le Cameroun se met à l’importation des innovations qui étaient produites localement. J’explique : Nos jeunes vont produire ailleurs les applications et autres contenus produits que le pays a besoin et qui sont importés au Cameroun au prix de l’or. Je veux dire que la promotion de l’innovation locale est absente dans la loi des finances. Je prends un autre exemple : Le Cameroun se met à 97% à l’importation du riz dans un pays où les chercheurs de l’IRAD (Ministère en charge de la Recherche et de l’Innovation) ont découvert 26 variétés de riz s’adaptant à toutes les zones agroécologiques du pays. Je parle de riz comme de toutes les autres spéculations dont la production est déficitaire au Cameroun. Que nous manque-t-il ? Il manque simplement la vulgarisation des résultats des recherches locales. Le taux de vulgarisation est resté à 3%. Question : que prévoit la loi des finances pour combler ce gap ? Réponse : Rien !
D’années en années, les lois de finances du Cameroun sont toujours en déphasage avec les besoins et préoccupations réelles du pays. L’on apporte de mauvaises solutions aux vrais problèmes. Le Cameroun est en panne de croissance. Il faut créer localement les richesses pour obtenir cette croissance. Le pays opte pour les importations massives et le surendettement. Ce sont de mauvaises solutions. La création des richesses au niveau local devrait être la priorité des priorités. Il faut lutter contre les déficits de production que l’on enregistre dans la quasi-totalité des secteurs. Il faut prioritairement travailler à combler les demandes internes pour éviter à notre pays de connaître une crise sociale ou de sombrer dans le chao. La loi des finances 2026 ne nous aide pas beaucoup sauf si l’on se lance dans des manœuvres hautement techniques. Espérons qu’il y aura la volonté politique et les Experts rompus à la tâche pour SAUVER le Cameroun. Sinon, 2026 sera l’enfer choisi par Certains.
Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD & HDR
Deuxième Vice-Président National SDF




